Chronique

Célébration de l’héritage d’un Ancêtre

today29/09/2024 83

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    Célébration de l’héritage d’un Ancêtre Par Norluck Dorange

Comme je vous l’ai souvent dit, dans les traditions africaines, en particulier au Dahomey, on ne célèbre pas la date de naissance de ceux qui sont décédés. On commémore dans la solennité et par les pratiques rituels les anniversaires de décès de personnalités, telles des Rois, des Chefs de Familles qui, durant leur existence terrestre, ont impacté la vie de plus d’un. Ils sont devenus des Ancêtres.

Aujourd’hui, j’ai assisté à la célébration de la vie de Dada, dit Roi Bahinnou, le 10e Roi de Savalou, territoire de la grande famille Gbaguidi, qui a une branche en Haïti sous le nom de Baguidi. Ce 28 septembre marque les 87 année où il rentra dans la forêt. On ne dit pas ici Le roi est mort. On dit plutôt qu’il est rentré dans la forêt. Chaque année, à cette date, l’Agadali Bahinnou ou la Cour Bahinnou, rassemble toute la branche Bahinnou des Gbaguidi pour rendre hommage à cet Ancêtre. Ici, en Afrique, dans chaque grande Cour ou Agadali, se trouve un espace sacré dédié aux ancêtres. C’est la chambre des Assin. Dans cette chambre, on installe de petites colonnes en fer surmontées d’un parasol miniature, représentant chacun, un Ancêtre. Les Assins regroupent tel un cimetière familiale, les incarnations symboliques de ceux qui ont grandi la réputation de la famille. Parmi les Assins de cette chambre des Bahinnou, se retrouvent ceux de deux prêtres catholiques, qui furent membres de cette famille. Même si un membre de la famille ne bénéficie pas du prestige d’un Ancêtre, lors de ces cérémonies, les vivants en profitent pour sacrifier les animaux en l’honneur de leurs parents ou leurs grands-parents qui sont à Fètimè, ou le Pays où le Soleil ne chauffe pas.

Ainsi, à travers la célébration de la vie de Dada Bahinnou, toute les branches de cette famille se sont faits représenter pour “donner à manger aux morts”. J’ai choisi à dessein cette expression à des fins de comparaison par rapport aux mêmes pratiques en Haïti.

Ce à quoi j’ai participé aujourd’hui est en fait le rituel original de l’Afrique ancestrale. Il s’agit d’un ensemble de pratiques cultuelles qui rentrent dans l’essentiel même du Vodoun: honorer ses Ancêtres. En somme, le sang des animaux sacrifiés devient le tribut offert aux mânes de ceux qui continuent leur existence sous le plan des 4 éléments écartelés. A cette fin, aucun parent, aucun ancêtre ne tombe jamais dans l’oubli. Ces cérémonies annuelles perpétuent leur présence parmi les vivants. Ainsi, ils obtiennent le carburant symbolique qui leur donne la force, afin qu’ils continuent à intervenir dans notre vie, que ce soit pour nous protéger, nous guider ou nous ouvrir des chemins.

Comme les Assins ont pratiquement disparu en Haïti (car il en existait, j’ai vu deux Assins au Bureau d’Ethnologie de Port-au-Prince), le rituel auquel j’ai assisté aujourd’hui peut être comparé à ceux qui se pratiquent dans les cimetières en Haïti, tel que j’en avais vu aux Gonaïves un 1er Novembre. En Haiti, les familles apportent et déposent de la nourriture cuite devant les Barons. De la nourriture a été aussi déposée dans la chambre des Assins à Savalou.

Ce qui ne se fait pas en Haïti, probablement en raison des contraintes habituellement imposées par l’État chrétien, c’est le sacrifice d’un grand nombre d’animaux pour les Ancêtres. Normalement, la Cour doit sacrifier un bœuf chaque année, me dit-on. Tous les membres doivent cotiser pour l’achat de cet animal. Cette année deux autres membres de la famille, ont acheté leur propre bœuf, ce qui fait trois bœufs au total. J’ai ensuite compté plus de 40 chèvres et 116 poules ou coqs sacrifiés. Chaque branche apporte son lot de poules ou de chèvres pour les sacrifices. Ainsi se déroule la cérémonie chaque année, à la même date.

Le Vodoun n’étant pas une religion mais plutôt comprend la maitrise d’um ensemble de savoirs expériencés et l’application de certains règles prescrits, j’ai appris quelque chose de nouveau aujourd’hui. Chaque personne qui joue un rôle dans l’accomplissement des rituels n’est pas choisi au hasard. L’expression que j’ai souvent entendu en Haïti: il/elle est choisi (e), c’est à Savalou que j’en ai découvert le véritable sens et l’explication qui va avec.

J’ai vu le fils d’un bon ami, qui portait un bol de haricots cuits à l’intérieur de la chambre des Assins. Son père m’a expliqué que l’Ancêtre qui incarne son fils aimait particulièrement ce plat et avait l’habitude de le distribuer à toute la communauté. Je dois vous préciser qu’en Afrique, “toute naissance est une renaissance”. Chaque enfant qui naît, c’est un Ancêtre qui est de retour. C’est par des rituels de consultation auprès des Bokonnon que l’on parvient à identifier l’Ancêtre qui est revenu. Il ne s’agit pas de simple croyance. Souvent ceux qui ont connu l’Ancêtre viennent corroborer les dires du Fa consilté, par l’identification des traits physiques et surtout de caractères chez l’enfant. Cela s’appelle: Djòtò en Fon. Dans cette même langue, on dit Djòvi pour désigner un bébé, ce qui signifie : un petit Ancêtre.

L’une des Nambo, une femme, a pour rôle de s’occuper de la maison des Loa de l’eau et de l’air dans la Cour. C’est elle la responsable. Dès sa naissance, les consultations avaient prédit qu’elle occupera cette fonction, parce qu’elle est la réincarnation d’un serviteur (Houngan, si l’on peut dire ainsi) qui occupait ce rôle par le passé.

Il n’y avait ni chants, ni danses, ni battements de tambour : c’était un rituel familial, un réglément annuel. L’Agadali ou la Cour n’a pas, comme en Haiti, un péristyle pour réunir les gens. Une tente avait été louée pour accueillir quelques dignitaires de la famille qui étaient venus assister et participer aux cérémonies. La grandiosité des événements a résidé dans l’engouement des participants à jouer leur rôle dans la joie et le respect des principes.

Cette famille m’a adopté il y a plus de dix ans. Depuis la cérémonie d’adoption, j’ai le même droit de prendre l’art à toutes les cérémonies et même recevoir ma part de viande sacrifiée pour les Ancêtres à emmène chez moi pour ma cuisine. Les années précédentes, parce que vivant en Amérique, j’envoyais ma contribution financière. On doit tuer pour mes ancêtres aussi. Cette année, je suis présent physiquement, vivant le Vodoun à sa source originelle, après avoir passé la majeure partie de ma vie avec une copie qui, au fil des ans, continue à se dénaturer. Nos devanciers avaient Vodouisé des saints catholiques en utilisant cette façade comme moyen de survie pour le Vodoun. Sans un ressourçage en profondeur, notre Vodoun continuera de glisser dans la pente dangereuse de la folklorisation.

Merci de votre écoute. A la semaine prochaine. Sous le Mapou du Vodoun de la R-Info, C’était avec vous, votre serviteur Norluck Dorange.

PS: la lecture est faite en utilisant la signature vocale de l’auteur

Written by: La Rédaction

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