Editorial

De Krèk Koko à Pastè Pass, la médiocrité est la norme en Haïti.

today14/10/2024 102

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    De Krèk Koko à Pastè Pass, la médiocrité est la norme en Haïti. Par Jean Venel Casseus

Là où d’autres nations présentent à leurs jeunes des figures de réussite comme Sam Altman ou Mark Zuckerberg, en Haïti, ce sont les Krèk Koko, Polky, Pastè Pass ou Dread Shoudly qui occupent le devant de la scène. Des éléments qui, pour être excessivement indulgent, incarnent la forme la plus flagrante de l’absurdité et de l’ignorance. Leur surmédiatisation expose la jeunesse haïtienne à un vide intellectuel pour le moins inquiétant.

Il ne s’agit pas ici de critiquer ces icônes de l’absurde, mais de constater leur éclat et de s’interroger sur la manière dont elles sont propulsées comme modèles dans une société déjà en crise. Jadis, pourtant, Haïti brillait par ses penseurs, ses intellectuels, et ses leaders politiques tels que Jacques Roumain ou Leslie François Manigat, qui ont contribué à façonner l’identité et la pensée haïtienne. Aujourd’hui, toute attraction intellectuelle semble s’effondrer dans le pays, remplacée par une glorification du ridicule et de la médiocrité.

Le rôle de l’école et de l’université dans la construction d’une société ne peut être sous-estimé. Ce sont des lieux où les esprits sont façonnés, où les idées prennent forme, et où les leaders de demain sont formés. En Haïti, l’effondrement du système éducatif laisse un vide béant. Les écoles peinent à fournir une éducation de qualité, les universités n’arrivent plus à produire des penseurs capables d’influencer la société de manière positive. Ce vide éducatif, laissé par des décennies de négligence et de manque de ressources, est aujourd’hui comblé par des modèles issus des réseaux sociaux, où la popularité l’emporte sur la substance.

Ce déclin éducatif a des conséquences désastreuses sur la société haïtienne. La prolifération des gangs, la violence généralisée, et l’exil massif de jeunes vers des pays comme la République dominicaine ne sont pas des phénomènes isolés. Ils sont les symptômes d’une jeunesse désabusée, privée de repères et d’opportunités. L’absence de structures éducatives solides ne laisse d’autre choix à cette génération que de se tourner vers des modèles qui, au lieu de les élever, les enfoncent dans une spirale de médiocrité et de désespoir. L’échec du système éducatif n’est pas seulement une tragédie pour les individus concernés, mais une catastrophe pour le pays tout entier.

Dans cette quête désespérée de sens et de reconnaissance, les médias haïtiens jouent un rôle ambigu. En quête d’audience, ils choisissent de mettre en avant des figures populaires, mais dénuées de substance. Ils participent à la normalisation de l’absurde et de l’ignorance, transformant la dérision en spectacle, et le vide en contenu. Les réseaux sociaux, en relayant ces modèles, amplifient le phénomène, rendant presque impossible pour la jeunesse de trouver des alternatives constructives. Le divertissement malsain prend le pas sur l’éducation, et les conséquences sont visibles à chaque coin de rue, dans chaque foyer, et dans chaque école abandonnée.

Les médias ne peuvent se substituer à l’école, certes, mais leur rôle doit être celui de diffuser de l’information, de susciter la réflexion, et d’encourager le débat. En Haïti, cette fonction est de plus en plus diluée, voire totalement pervertie. Tant que l’éducation restera en déclin, et que les médias continueront à privilégier la superficialité, Haïti s’enfoncera davantage dans une crise sociale et intellectuelle sans précédent.

Le redressement de la situation passe inévitablement par une refonte du système éducatif haïtien. Il est nécessaire de réinvestir dans les écoles, de restaurer les universités, et de redonner à l’éducation sa place centrale dans la société. Ce travail de reconstruction ne pourra être accompli sans une volonté politique forte et un engagement de la société civile. Les médias, de leur côté, doivent retrouver leur rôle de guide culturel et intellectuel, en mettant en avant des figures qui incarnent l’excellence, l’effort et la contribution au bien commun. La jeunesse haïtienne mérite mieux que des modèles vides de sens. Elle mérite des figures qui l’inspirent à rêver grand et à travailler dur pour réaliser ces rêves.

L’avenir d’Haïti repose sur sa capacité à restaurer l’éducation et à offrir à sa jeunesse les outils pour bâtir un avenir meilleur. Si le pays continue à privilégier la médiocrité au détriment de l’intelligence et du savoir, il risque de condamner sa population à un cycle de pauvreté, de violence, et de désespoir.

 

Par Jean Venel Casseus

 

Written by: La Rédaction

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