La politique aux politiques

En Haïti, il n’est pas rare d’entendre que les politiques devraient être écartés des postes stratégiques de l’État au profit de gestionnaires techniques, jugés plus « neutres » et « efficaces ». Ce discours, bien qu’attrayant pour certains, repose sur une vision paradoxale : les ministères et autres institutions publiques sont des lieux de décision qui impactent directement le quotidien de la population. Écarter les politiques de ces espaces, au nom d’une prétendue efficacité, revient à désamorcer la dynamique de représentation populaire qui fonde toute administration publique.

Le terme « politique » est souvent perçu comme péjoratif en Haïti, associé à la corruption, aux promesses non tenues ou aux luttes de pouvoir. Pourtant, le rôle d’un politique est fondamental dans toute société : c’est celui qui, élu ou nommé, engage sa voix et ses actions au nom des citoyens, pour traduire leurs besoins en orientations concrètes. L’engagement politique, loin de se limiter à des slogans, consiste à se confronter aux réalités du terrain, à naviguer dans des contextes parfois hostiles pour défendre une vision commune. Ce rôle, bien que discrédité dans le contexte haïtien, est le nerf de la gouvernance démocratique. Sans engagement politique, il n’y a pas de choix sociétaux ni de projets collectifs.

La responsabilité du politique est double : individuelle et collective. Un technicien n’engage que sa propre réputation. Il peut, comme Gérard Latortue, causer à haïti son petit bonhomme de dégats puis se réfugier tranquillement dans son confort Boca Ratonian aux États Unis, jusqu’à sa mort. Pourtant, un politique, ministre ou autre, engage sa personne, son parti et sa famille politique. Eux aussi sont exposés aux jugements de la population.

Croire que l’administration publique pourrait fonctionner de manière apolitique est illusoire. Les décisions qui s’y prennent ne se limitent pas aux aspects techniques ; elles impliquent des choix de société, des valeurs et une projection vers l’avenir. Un technicien peut gérer des processus, mais sans l’obligation de porter la voix de la population ou de prendre des décisions engageant le pays à long terme. C’est pourtant là que le politique, malgré ses défauts, reste indispensable.

Contrairement aux idées reçues, une politique publique ne se résume pas à une question de chiffres ou de statistiques. Elle repose sur un processus complexe où des objectifs sociaux, économiques, et culturels qui sont définis en fonction des besoins réels de la population. Cette démarche implique une analyse des aspirations collectives, des choix prioritaires, et une prise en compte des contraintes spécifiques de l’environnement. Ainsi, élaborer une politique publique nécessite non seulement une expertise technique, mais aussi une vision et un engagement politique pour faire des choix qui vont au-delà de simples indicateurs de performance, afin d’orienter le pays vers un développement inclusif et durable.

La solution à la bonne gouvernance ne réside donc pas dans une éviction des politiques, mais dans une redéfinition de leur rôle et de leurs engagements envers les citoyens. Plutôt que de chercher des boucs émissaires, il serait plus judicieux de renforcer les mécanismes de transparence et de responsabilité au sein des institutions, pour que les politiques soient redevables et porteurs de véritables projets de développement.

En essayant d’écarter les politiques des postes décisionnels, on court le risque de déshumaniser la gestion publique, en la rendant insensible aux attentes et aux aspirations de la société. Ce n’est pas l’absence de politiques aux ministères qui fera avancer Haïti, mais une présence politique responsable, tournée vers l’intérêt général.