Chronique

Musique, Diplomatie et Géostratégie.

today27/10/2024 27

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    Musique, Diplomatie et Géostratégie. Par Jean Venel Casseus

Avec sa capacité universelle et transcendantale, la musique est indéniablement un outil géostratégique de premier ordre sur l’échiquier mondial. Utilisée avec finesse et créativité, elle peut favoriser le dialogue, encourager la réconciliation et renforcer les liens d’amitié ou de domination entre les nations.

Dans un monde où les conflits et les malentendus surgissent trop souvent, la musique s’offre comme une alternative harmonieuse pour, fondamentalement, trouver des chemins de paix. Dans cette dynamique, chacune de ses notes et de ses harmonies sert à contribuer, d’une manière ou d’une autre, à des échanges habités de génies capables de métamorphoser les Relations Internationales. Et, bien au-delà, elle sait parfois s’y installer en maestro, orchestrant silencieusement les cadences des pouvoirs. Elle est une baguette subtile de l’influence culturelle et politique par l’établissement de ponts invisibles entre les peuples. Elle est une composante essentielle du soft power. Ses ondes, portant en elles culture, valeurs, et idéaux, savent activer des réseaux bien plus durables que n’importe quelle campagne diplomatique classique. Dans ce champ-là, on peut considérer que la musique est :

  • Un levier du soft power

La musique, on l’admet, est une arme insoupçonnée mais puissante du soft power. À travers les âges et les crises, elle a servi de pont entre des mondes divisés en tant qu’expression artistique et outil stratégique de diplomatie culturelle.

La musique, dans ses formes les plus diverses, a toujours été utilisée par les nations pour façonner l’opinion internationale, forger des liens et promouvoir leurs valeurs et intérêts à l’échelle mondiale. En s’approchant, même brièvement, des récits de la diplomatie du jazz des États-Unis, de la résistance culturelle en Haïti, et du phénomène de la K-pop en Corée du Sud, on peut faire ce constat par soi-même.

Pendant la Guerre Froide, une période marquée par une polarisation extrême des conflits idéologiques, les États-Unis ont conçu et mis en œuvre une stratégie diplomatique innovante surnommée la « diplomatie du jazz ». Cette initiative visait à déployer le charme irrésistible de musiciens de jazz emblématiques tels que Louis Armstrong, Dizzy Gillespie, et d’autres, au-delà du Rideau de Fer.

Armés de leurs instruments et d’un répertoire captivant, les ambassadeurs de la « Diplomatie du Jazz » ont voyagé dans des territoires peu accessibles aux pouvoirs politiques de Washington afin de propager des idées capitalistes contre le communisme, sous le masque des valeurs d’ouverture et de liberté intrinsèquement liées à l’esprit du jazz. Louis Armstrong, en particulier, avec sa trompette légendaire et son sourire contagieux, a bien réussi à embrigader certains camarades.

Bien avant l’avènement de la bipolarisation globale et les tensions de la Guerre Froide, les États-Unis avaient déjà tenté de faire rayonner le jazz en Haïti durant leur occupation militaire (1915-1934), mais en vain. Ils avaient rencontré une résistance culturelle significative sur le terrain, contre cette politique. Des figures emblématiques de la culture haïtienne, telles que Auguste Linstant (kandjo) de Pradines et Jean Price Mars, ont vigoureusement contesté cette imposition culturelle par des chants comme « Angélique O ! » ou des livres de la trempe de « Ainsi parla l’oncle ».

En Haïti, la notion de « jazz » s’est depuis distanciée de son origine en tant que genre musical pour devenir, purement et simplement, l’équivalent du mot « orchestre » ou « groupe musical » dans l’univers de la musique Compas : un « Jazz » est un orchestre, tandis qu’un « mini-jazz », terme énoncé au milieu des années 1960, désigne un ensemble de moins de 10 musiciens.

Dans un contexte contemporain, la Corée du Sud, avec son ascension fulgurante sur la scène culturelle mondiale, représente un modèle remarquable de la manière dont la musique peut agir comme levier de soft power, non en maître dominant, mais en vitrine.

Le phénomène de la K-pop, avec des groupes de renommée internationale tels que BTS et Blackpink, a propulsé la culture sud-coréenne au-devant de la scène globale. Les artistes de K-pop, grâce à leurs performances dynamiques, leurs mélodies captivantes, et leurs clips vidéo hautement élaborés, ont à la fois marqué l’industrie musicale et généré un impact économique remarquable pour le pays par l’exportation de biens culturels.

EXO, Stray Kids, et Twice ont également joué un rôle crucial dans l’expansion internationale de la K-pop. Leurs concerts à guichets fermés dans des villes du monde entier, de New York à Paris, et leurs participations à des émissions télévisées et des festivals internationaux, ont servi de tremplin pour introduire la langue, la culture, et les valeurs sud-coréennes à un public global. La stratégie de ces groupes et de leurs agences pour engager les fans à travers les réseaux sociaux et les plateformes de streaming a permis de créer une communauté mondiale, où les barrières linguistiques et culturelles semblent s’effacer devant l’universalité de la musique.

En parlant de K-pop, abordons le cas emblématique de « Gangnam Style », véritable phénomène de l’année 2012, dont la mélodie captivante et la danse du cheval iconique ont révolutionné la portée culturelle globale et l’exercice du soft power. En un tour de main, ce morceau de l’artiste sud-coréen Psy s’est rapidement élevé, passant d’un simple engouement viral à un symbole puissant qui a fait rayonner la Corée du Sud à travers le monde. Son approche humoristique, soutenue par des images à la hauteur de son charme, a offert un aperçu séduisant de la modernité et de l’attrait de la culture sud-coréenne.

“Gangnam Style”, notez bien, est le premier clip vidéo à franchir le milliard de vues sur YouTube. Lorsqu’on le et regarde l’aspect le plus important à considérer est la mise en évidence du rôle primordial des médias sociaux et des plateformes digitales dans la diffusion du soft power.

L’histoire sous l’angle du soft power est témoin de toutes les capacités de la musique à offrir des cadres pour imposer, résister, et projeter : de la diplomatie du jazz qui a su adoucir les tensions de la Guerre Froide, à la résistance culturelle en Haïti qui a redéfini l’autonomie nationale, jusqu’à la propagation mondiale de la K-pop illustrant le dynamisme culturel de la Corée du Sud.

  • Un pont sur les eaux troubles

Face aux vicissitudes de l’histoire, la musique émerge souvent comme un phare d’espoir et de réconciliation. À travers les époques et les continents, des individus visionnaires ont perçu en elle un moyen capable de rapprocher les cœurs et les esprits, même lorsque les mots et la diplomatie échouent. Cette force unificatrice de la musique se manifeste à travers une myriade d’initiatives, telles que le West-Eastern Divan Orchestra et l’Orchestre des Jeunes de l’Union Européenne, qui incarnent la possibilité d’une coopération pacifique et constructive au-delà des frontières imposées par l’histoire, la politique ou la géographie.

D’autres exemples emblématiques, d’autres initiatives à travers le monde montrent aussi cette capacité de la musique à construire des ponts là où des fossés semblaient infranchissables. L’initiative « Playing for Change » s’inscrit dans cette lignée en enregistrant des musiciens de rue à travers le monde pour promouvoir la paix et encourager la compréhension sociale à travers la musique globale. Des favelas brésiliennes aux villages zoulous d’Afrique du Sud, ce projet capte la musique dans son idéal de vecteur de connexion humaine et de partage culturel. Une autre initiative poignante est celle de l’orchestre symphonique national afghan, qui, malgré les décennies de conflit dans le pays, a réussi à rassembler des musiciens de diverses ethnies et croyances. Dans un pays où la musique a été bannie pendant des années, cet orchestre est, d’une part, un acte de résilience culturelle, et d’autre part, un message puissant sur le rôle de l’art comme catalyseur de paix et de réconciliation nationale.

L’expérience du « World Youth Choir » (WYC) a réuni des chanteurs de nations et de cultures différentes pour interpréter un répertoire commun. Par cette initiative, les musiciens du WYC cherchent à prouver que l’harmonie vocale peut engendrer l’harmonie sociale. Ils encouragent leurs membres et leurs auditeurs à envisager un monde où la diversité est célébrée comme une force et non comme une source de division.

Dans un registre plus intime, comme le Concert de Noël à Sarajevo dans les années 1990, les « Concerts pour la Paix », organisés dans des zones de conflit ou post-conflit, cherchent à panser les séquelles de la guerre et à ouvrir des espaces de dialogue à travers la musique. Que ce soit dans des camps de réfugiés, des villes ravagées par la guerre ou des communautés divisées par des conflits interethniques, ces concerts ont offert des moments de répit et de beauté, rappelant aux individus leur humanité commune et la possibilité d’un avenir partagé. Ce message est souvent bien compris par les protagonistes. En Angola, en 1988, alors qu’une guerre civile ravageait le pays depuis des années, un cessez-le-feu a été spécialement déclaré pour faciliter la tenue d’un concert du groupe caribéen Kassav. Dans une communion historique, cet événement avait réuni des dizaines de milliers de personnes.

Ces initiatives, et tant d’autres à travers le globe, nous rappellent que, même dans les moments les plus sombres de notre histoire, il existe des lueurs d’espoir et des chemins vers la réconciliation. La musique, dans ce contexte, est toujours un appel à repenser nos approches des conflits, à réviser nos stratégies de diplomatie, à réinventer nos systèmes d’éducation et notre coexistence dans la société.

La philosophie qui sous-tend ces projets musicaux est une réflexion sur la condition humaine elle-même. Elle questionne les fondements de nos divisions et cherche à révéler, à travers le langage universel de la musique, un terrain d’entente où toutes les voix peuvent se rencontrer et s’entrelacer dans un tissu social plus cohérent et harmonieux. En cela, la musique devient expression de notre humanité partagée, un outil essentiel pour construire un monde plus uni, où la diversité culturelle est acceptée et embrassée.

  • Une porte ouverte d’opportunités économique

Les nations partagent leur héritage musical pour s’inscrire dans une dynamique économique globale, aux retombées considérables. Mondialisation oblige, la culture et l’économie doivent se soutenir mutuellement afin de prospérer ensemble.

Comme il a déjà été mentionné, la musique agit comme un ambassadeur culturel silencieux. Elle peut transformer la façon dont les autres voient un pays et aide à peaufiner une forme très délicate de diplomatie économique. La force culturelle internationale d’un genre, d’un style ou d’un titre musical bénéficie toujours au pays d’origine. Elle attire plus d’attention vers lui, ce qui se manifeste généralement par une augmentation du nombre de touristes et un intérêt accru pour les produits et services provenant de ce pays. La musique est donc l’un des meilleurs moyens qu’un État peut utiliser pour créer une atmosphère qui encourage et attire les investisseurs étrangers.

Une synergie remarquable s’observe entre la musique et le tourisme, surtout à travers l’impact économique des festivals de musique et des concerts de stature internationale. Ces événements, de véritables pôles d’attraction pour un public mondial, dynamisent l’économie non seulement par les dépenses immédiates qu’ils génèrent mais aussi en promouvant la destination comme un écrin de richesse culturelle. L’influence de ces festivals se prolonge au-delà de leur tenue, grâce aux couvertures médiatiques qui amplifient l’image de marque du pays sur la scène internationale.

De plus, l’industrie musicale est un terreau d’innovation technologique grâce au développement de nouvelles plateformes de streaming, d’outils de création et de logiciels. Ces avancées technologiques attirent toujours d’importants investissements en recherche et développement, nourrissant le savoir et esquissant les contours de nouveaux modèles économiques.

Vers les années 2010, le Nigeria a connu une transformation remarquable grâce aux progrès de la technologie numérique et à l’émergence de plateformes locales de diffusion musicale. Des entités telles que Boomplay et uDUX ont été à l’avant-garde de ce changement : la première est un service de streaming qui offre, au continent africain, un large éventail de musique locale, régionale et internationale ; tandis que le second est connu particulièrement pour ses X-Party, une série de concerts en direct sur Internet.

La croissance des plateformes de diffusion locales a provoqué des innovations dans les systèmes de paiement et de monétisation au Nigeria. Paystack et Flutterwave se sont développés parallèlement comme solutions idéales pour faciliter les transactions financières. Elles ont permis de multiplier les engouements, les abonnements et les achats de contenu musical, sans encombre. Ces innovations ont aussi propulsé l’Afrobeat et, certainement, une image grandiose du Nigeria.

La musique est définitivement une véritable passerelle permettant de découvrir d’autres dimensions des richesses d’un pays. Cette curiosité éveillée stimule les demandes, engendrant des exportations qui contribuent au PIB national et favorisent la diversification économique.

 

Written by: La Rédaction

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