Géopolitique

Le monde de Brzezinski est obsolète

today01/03/2025 50

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Par Jean Venel Casséus, MSc

Zbigniew Brzezinski, l’un des plus influents stratèges géopolitiques du XXe siècle, percevait le monde comme un immense échiquier où les États-Unis devaient impérativement maintenir leur domination. Dans Le Grand Échiquier (1997), il défendait l’idée que la puissance américaine reposait sur le contrôle de l’Eurasie, région clé pour asseoir une hégémonie mondiale. Or, cette vision binaire de la géopolitique apparaît aujourd’hui dépassée. L’unipolarité américaine qu’il théorisait s’effrite face à une redistribution des forces, où la Chine, la Russie, l’Inde et d’autres puissances émergentes redéfinissent les règles du jeu.

Brzezinski considérait qu’il était impératif d’empêcher l’émergence d’un rival susceptible de remettre en cause l’hégémonie américaine. Pourtant, la réalité actuelle témoigne d’un affaiblissement relatif des États-Unis, non pas sous l’effet de l’ascension d’un adversaire unique, mais en raison de l’éclatement du pouvoir en plusieurs centres d’influence. La Chine a imposé sa présence en Afrique et en Asie à travers des investissements massifs et une diplomatie proactive. La Russie, malgré tout, demeure un acteur militaire et énergétique incontournable. L’Inde, les pays du Golfe et même des blocs régionaux comme l’Union africaine ou l’ASEAN imposent de nouvelles dynamiques qui échappent au contrôle traditionnel des grandes puissances.

L’un des angles morts de Brzezinski était l’impact des révolutions numériques sur la géopolitique. Son approche reposait sur des stratégies classiques de contrôle territorial et militaire, ignorant que l’ère numérique allait bouleverser les rapports de force. Aujourd’hui, les multinationales du numérique (GAFAM – BATX), les plateformes de communication et la maîtrise des données constituent un levier de pouvoir bien plus influent que la possession de bases militaires. Un réseau social peut provoquer des crises diplomatiques, une cyberattaque peut paralyser une économie, et les cryptomonnaies redéfinissent le contrôle monétaire en dehors du cadre des États.

L’obsolescence de la vision de Brzezinski s’illustre également dans le rôle croissant des puissances régionales. Contrairement à son postulat d’un monde structuré autour de pôles dominants, on assiste à une multiplication d’acteurs capables d’influer sur la scène internationale sans se conformer aux schémas traditionnels. Les États du Golfe dictent les tendances énergétiques, l’Afrique impose de nouvelles règles aux investisseurs étrangers, et en Amérique latine, la souveraineté économique prime sur les orientations dictées par Washington. Ce ne sont plus seulement les États qui mènent la danse, mais aussi des coalitions temporaires, des mouvements sociaux transnationaux et des entreprises influentes.

Les conflits actuels démontrent que la domination militaire ne garantit plus un contrôle durable. Brzezinski concevait la guerre en termes de stratégie de puissance, mais les événements récents montrent que les guerres asymétriques, les sanctions économiques et la bataille de l’information ont supplanté les interventions classiques. La Russie en Ukraine, la Chine en mer de Chine ou encore les tensions au Moyen-Orient révèlent que le rapport de force ne se limite plus à une présence militaire, mais repose sur un ensemble de leviers diplomatiques, économiques et technologiques.

Le monde de Brzezinski est obsolète, car il n’a pas su anticiper la complexité du XXIe siècle. L’échiquier géopolitique n’est plus dominé par une seule puissance, mais par une multitude d’acteurs qui interagissent selon des dynamiques inédites. Ce n’est plus une partie où un seul joueur impose ses règles, mais un jeu fluide, où chaque acteur — des États aux multinationales, en passant par des individus comme Elon Musk — peut influencer l’issue. L’avenir n’appartient plus à ceux qui cherchent à contrôler, mais à ceux qui savent s’adapter. Comme le dirait Richard Haass, le monde d’aujourd’hui est apolaire. Il n’appartient désormais qu’aux dirigeants de chaque pays, y compris Haïti, de décider s’ils veulent être des joueurs ou des pions sur le Grand Échiquier.

Written by: La Rédaction

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