Au fresque de l’absurde concernant l’image d’Haïti et des Haïtiens, de Donald Trump et de JD Vance, la diplomatie haïtienne vient d’ajouter un coup de pinceau non moins significatif. Comme dans un vilain spectacle à Broadway, cette diplomatie met en scène des comiques qui ne font pas rire le grand Émile Saint-Lot, rapporteur de la commission chargée de rédiger la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948.
En effet, entre la correspondance du département d’État américain, l’email du sous-secrétaire d’État Brian A. Nichols, le tweet de l’ambassade américaine en Haïti, le voyage enfin confirmé du président du Conseil Présidentiel haïtien Edgard Leblanc, l’auto-stop du conseiller-président Lesslie Voltaire, et le Premier ministre Garry Coni, qui jongle avec la sémantique, Haïti ressemble aujourd’hui à un trou qu’on n’oserait qualifier.
Deux hypothèses sont à mettre sur la table pour tenter de comprendre cette absurdité diplomatique.
Première hypothèse : un conflit d’autorité inter CPT.
Face à un Edgard Leblanc discret et réservé, Lesslie Voltaire s’impose comme le principal visage public du CPT dès sa prise de fonction. Il est omniprésent dans les médias, il visite ici et là les institutions publiques, et il publie régulièrement des notes en son propre nom. Le samedi 21 septembre dernier, alors qu’il fallait régler un différend entre le Conseil Présidentiel et l’administration américaine, il a profité de l’avion du président kényan en Haïti pour se rendre à New York. Arrivé sur place, il s’est présenté dans un tweet ce dimanche comme chef de la délégation haïtienne dans le cadre de la Soixante-Dix-Neuvième Assemblée Générale des Nations Unies. Pourtant, il n’était accompagné ni du Premier ministre, ni de la chancelière Dominique Dupuy, qui aurait prétexté avoir oublié son badge d’accréditation lors de sa rencontre avec le Secrétaire Général de l’ONU, António Guterres.
Qui pis est, Garry Coni affirmait aux journalistes, ce même jour, que le seul et unique chef de la délégation, sur les documents officiels, est Edgard Leblanc.
Un autre fait qui renforcerait l’hypothèse d’un conflit inter-CPT réside dans le discours de M. Voltaire à la tribune des Nations Unies lors du Forum sur l’Avenir, où il s’est présenté en tant que chef d’État, ce lundi. Ce qui ne relève pas d’un simple lapsus.
Logiquement et légalement, au regard du contexte politique haïtien actuel, en tant que conseiller-président, Lesslie Voltaire devait jouir de tous les honneurs d’un chef d’Etat sur le territoire américain en attendant l’arrivée du président du Conseil Présidentiel, Edgard Leblanc. Mais, les réunions bilatérales entre les chefs d’État, en marge de l’Assemblée Générale, n’ont pas traduit cette compréhension.
Au contraire, une grave faute protocolaire a causé une grande humiliation à Monsieur Voltaire au siège de la mission brésilienne à l’ONU, alors que le Premier ministre était en tête-à-tête avec le président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva.
Incroyable, car une lettre datée du 5 septembre 2024 indiquait pourtant que c’était le président du CPT, Edgard Leblanc, qui devait mener cette rencontre.
Garry Coni, aurait-il reçu les instructions de M. Leblanc pour le représenter à cette réunion, malgré la présence de Lesslie Voltaire sur les lieux? Cette question mérite d’être posée. Si oui, le conflit inter CPT est acté.
Sinon, les rumeurs insinuant que la Primature cherche à éclipser le CPT ont un certain fondement.
La deuxième hypothèse : ce fiasco new-yorkais de la diplomatie haïtienne ferait l’affaire de la bande à Conille.
Normalement, la diplomatie est le domaine réservé de la présidence, conformément à la constitution. Ainsi, toute bévue diplomatique incombe d’abord à la présidence. Autrement dit, dans ce scénario macabre qui se joue actuellement, Ponce Coni n’aurait rien à se reprocher, et si l’issue de cette affaire est la disgrâce du CPT, il serait légitime que les faiseurs de rois en Haïti lui confèrent les mêmes pouvoirs que son prédécesseur, Ariel Henry.
Si telle est la stratégie de Garry Coni, il doit comprendre que l’écueil de celle-ci réside dans le livre de la genèse de son gouvernement. Au verset X, il est dit qu’il s’était imposé pour obtenir le contrôle total de la diplomatie. Ce qu’il a effectivement obtenu en imposant, Dominique Dupuy, car, à l’époque, l’avantage était en sa faveur dans les rapports de force. Mais depuis, de l’eau a coulé sous son pont, surtout dans l’opinion publique, et pas du tout la plus propre à l’angle de la politique étrangère. La diplomatie est désormais administrée de scandale en scandale. Être diplomate haïtien est passé d’excellence et marque de noblesse à corrompu suspecté. Sans compter que tout se joue désormais sur le trottoir, dans ce domaine.
Quoi qu’il en soit, si l’on en croit le conseiller-président Lesslie Voltaire, ce fiasco new-yorkais de la diplomatie haïtienne ne restera pas sans conséquence. “Des têtes vont tomber”, aurait-il affirmé. Si ce n’est la sienne, dirait-on, dans cette ambiance de la loi du plus fort.
Par : Jean Venel Casseus
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