Editorial

Les “Abolotcho”, ces acteurs discrets mais puissants de l’instabilité politique en Haïti.

today30/10/2024 137

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    Les “Abolotcho”, ces acteurs discrets mais puissants de l’instabilité politique en Haïti. Par Jean Venel Casseus

Récemment, j’ai assisté à une scène révélatrice : une personnalité en vue, prétendument respectable, encensait un ministre qui l’avait intégré dans son cabinet. Cependant, sitôt ce ministre remplacé, cette même personne s’empressait de flatter le nouveau venu tout en dénigrant son prédécesseur, s’assurant ainsi de rester dans les bonnes grâces de celui qui détient désormais le pouvoir.

Je connais aussi un autre individu, habitué à changer de position selon les avantages du moment. Aujourd’hui, il soutient le pouvoir si un contrat lui est attribué ; demain, il se retourne contre ce même pouvoir si le contrat est perdu ; puis, il redevient favorable dès qu’une faveur lui est accordée. Sans honte, il ajuste ses caprices en fonction de la météo de son ventre.

En Ayiti, on nomme ces individus, avec mépris, les Abolotcho.

Dans l’administration publique haïtienne, les Abolotcho gravitent autour des ministres comme la Terre autour du Soleil. Au cours de ces trente dernières années, peu importe le régime ou le courant politique, ils sont toujours présents sans être fonctionnaires. En tant que membres de cabinets de ministres ou de directeurs généraux, certains ont développé une carrière notable.

On peut également identifier les dangereux Abolotcho par leur capacité à changer de parti politique du jour au lendemain, par leur posture de pigistes au service des tenants du pouvoir, et par leur discours ambigu dans l’espace public.

Mais les Abolotcho ne sont pas de simples courtisans : ils incarnent une facette enracinée du dysfonctionnement politique haïtien. Dans un système où la solidité des institutions cède souvent devant les alliances de circonstance, les Abolotcho pratiquent une politique opportuniste, prêts à s’ajuster aux attentes des détenteurs du pouvoir pour préserver leurs privilèges. Contrairement aux agents de la fonction publique qui se veulent neutres, les Abolotcho modifient leurs discours et leurs loyautés selon les fluctuations du pouvoir, ignorant les principes de constance et de loyauté républicaine.

Cette instabilité morale et idéologique affaiblit les fondements de l’État haïtien, compliquant toute tentative de réforme ou de gouvernance durable. Les Abolotcho naviguent dans les cercles du pouvoir, profitant de chaque changement de régime pour renouveler leurs alliances, au détriment de l’intérêt collectif. Lorsqu’une nouvelle autorité s’installe, ils se désolidarisent de leurs anciens alliés et ajustent leur discours pour plaire aux nouveaux dirigeants, créant un climat où confiance et continuité politiques sont constamment ébranlées.

L’influence des Abolotcho va bien au-delà de leur relation directe avec le pouvoir. En propageant rumeurs et calomnies, ils participent à une culture de déstabilisation, entravant l’engagement citoyen et sapant les valeurs républicaines. Leur capacité à manipuler l’opinion publique pour servir leurs propres intérêts alimente la méfiance envers les institutions, renforçant l’impression d’une politique réduite à un jeu d’influence plutôt qu’à un engagement pour le bien commun.

La triste ironie dans tout cela est qu’un Abolotcho écarté, malgré ses soubassements, par un pouvoir ou un régime, tente souvent de se réinventer en intellectuel militant moraliste, jusqu’au prochain petit contrat.

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