Editorial

Haïti à l’heure d’une Transition Démocratique “Petyonvil pa Taba”

today01/11/2024 37

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    Haïti à l’heure d’une Transition Démocratique “Petyonvil pa Taba” Par Jean Venel Casseus

Plus d’un Haïtien se demande pourquoi la communauté internationale, notamment les États-Unis, a imposé à Haïti ce modèle singulier de transition démocratique : un Conseil de neuf présidents agissant chacun comme de véritables chefs d’État, accompagné d’un Premier ministre qui se prend pour un monarque. La réponse, bien que surprenante, se trouve dans une logique absurde mais compréhensible : après tant d’essais de transitions classiques sans résultat tangible, il semblerait que l’heure soit venue d’expérimenter l’anormal, comme l’aurait suggéré Samuel Beckett, le théoricien du théâtre de l’absurde. « En attendant Godot », nous y sommes.

L’expression créole « Petyonvil pa Taba » exprime parfaitement cette idée d’incongruité. Dans la vie quotidienne à Port-au-Prince, pour se rendre à Pétion-Ville depuis le centre-ville, on emprunte habituellement la route de Delmas ou celle de Lalue, parfois même une déviation par Canapé-Vert en cas d’embouteillage. Se diriger vers Tabarre pour atteindre Pétion-Ville relève donc de l’anomalie. C’est une analogie parfaite pour comprendre cette voie que nos dirigeants ont adoptée depuis avril 2024 pour tenter d’atteindre une gouvernance démocratique stable. Ce chemin emprunté ne s’inspire ni des trajectoires éprouvées de l’expérience haïtienne ni des modèles démocratiques classiques. Pourtant, c’est par ce détour d’un exécutif à dix têtes de chefs aux allures absurdes que l’on espère stabiliser la situation sécuritaire du pays et organiser des élections libres.

Six mois plus tard, nous ne sommes plus dans le risque ; nous sommes dans le chaos, tenant compte de l’ambiance existante entre le Premier ministre Garry Conille et les membres du Conseil Présidentiel de Transition. Leur relation conflictuelle met au grand jour l’absence d’une vision commune et d’une réelle synergie politique. Elle crée un climat de confusion et de désorganisation où le leadership se dilue. Cette dissonance interne fragilise, d’une part, le processus de transition et, surtout, d’autre part, la vie et l’avenir de millions d’Haïtiens.

À cela s’ajoute l’insécurité qui gangrène le pays, avec la prolifération de gangs armés : un obstacle incontournable à l’organisation d’élections libres et transparentes d’ici le 7 février 2026. Les gangs ne contrôlent pas seulement des territoires ; ils influencent aussi les dynamiques sociales et économiques.

Dans cet environnement, on pourrait se demander si cette approche de l’anormal est réellement un passage intelligent pour Haïti ou une impasse qui ne fera que creuser davantage le fossé entre l’État et son peuple. La complexité du moment appelle à une réflexion profonde sur les motivations réelles de la communauté internationale et sur les conséquences de cette expérimentation politique pour la souveraineté haïtienne.

L’avenir de cette transition reste incertain. La route vers une démocratie solide, dans un pays déchiré entre insécurité et fragmentation politique, est semée d’embûches. Peut-être faut-il, pour sortir de cette spirale absurde, réinventer nos propres routes, aux trajectoires plus directes, et trouver en nous-mêmes la force d’une résilience authentiquement haïtienne.

Written by: La Rédaction

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